Last Tango in Paris de Bernardo Bertolucci

You know in 15 years, you’re going to be playing soccer with your tits. What do you think of that?

En 1972, une bombe sort sur les écrans. Son impact est à la hauteur de sa réputation – encore actuellement : il s’agit d’un choc électrique, bouleversant, imprévisible. Le film fait l’objet de diverses censures, et en Italie, pays natal du réalisateur, est même interdit. Les acteurs principaux et le réalisateur seront d’ailleurs poursuivis pénalement pour le film. Si vous ne l’avez bien sûr pas encore deviné, le film scandaleux dont il est question est Last Tango in Paris de Bernardo Bertolucci.

Un homme, sur le pont de Bir-Hakeim, pose ses mains avec violence sur ses oreilles, ne supportant pas le bruit assourdissant du métro aérien. Une jeune femme, mystérieuse et élégante, passe devant lui, arrête un instant son regard sur son geste, et reprend sa course vers un immeuble, rue Jules Verne. Après avoir collecté les clefs de l’appartement qui l’a attirée jusque là, Jeanne monte et découvre l’homme du pont, Paul, dans l’appartement. Tous les deux font alors l’amour, se quittent, se retrouvent et recommencent, sur trois jours, sans se dire leurs noms, ou, des éléments de leurs vies respectives.

 

A l’origine du film, une réflexion de Bertolucci ; l’idée de rencontrer une femme, ni connue ni d’Ève ni d’Adam, et de partir avec elle faire l’amour dans un appartement étranger. L’anonymat comme seul vêtement, la possession comme piège à éviter, la passion comme seul moteur d’action. Dès les premiers balbutiements du film, il est décidé de le tourner à Milan. Finalement, Paris est choisie. Trente ans plus tard, Bertolucci reviendra dans la ville lumière pour y tourner The Dreamers, un autre film sur la génération soixante-huitarde cinéphile piégée sensuellement dans un lieu clos ; l’appartement – faisant office de personnage à part entière. Dès le début, Bertolucci cherche inlassablement son premier rôle masculin, et essaye d’engager Jean-Louis Trintignant, ou Alain Delon, mais ceux-ci renoncent vite, effrayés par la portée de l’histoire et son hypersexualisation. Ainsi, Bertolucci rencontre Marlon Brando, à l’époque à la dérive – après Bertolucci, il décroche son grand rôle dans The Godfather de Francis Ford Coppola.  Très vite, Brando s’impliquera dans le rôle (et par extension dans le film) – peut-être plus qu’il n’aurait dû – jusqu’à l’habiter complètement et à, des années plus tard, le regretter.

Last Tango in Paris est, en dépit de son apparence simple, un film complexe, porté par de nombreuses influences – inconscientes (mythe d’Orphée) ou non, et de degrés d’analyse intéressants. Au-delà de la sexualité libre et débridée – ou même sadique et machiste – présentée dans le film qui constitue en soi une caractéristique fascinante, nous retrouvons des messages à portée politique et anti-bourgeoise (comme toujours chez Bertolucci). Dans cette analyse, nous évoquerons Last Tango in Paris comme un film qui repose sur la dynamique du choix, la réflexion métafilmique, le rapport contradictoire entre reconstruction et destruction, et la sexualité libre. Enfin, nous analyserons l’impact de « la » scène tristement célèbre du film.

Au centre de Last Tango in Paris, il y a la notion de choix. Le choix de Jeanne, personnage principal – alors que beaucoup pensent que c’est Paul – confrontée à deux hommes : Paul, le quadragénaire et Tom le jeune cinéaste. Il s’agit pour la jeune femme de choisir entre le raisonnable, le bourgeois (Tom) et le déraisonnable, l’anti-bourgeois (Paul). En cela, Bertolucci reste sur la vague de son film précédent, Le Conformiste, avec Jean-Louis Trintignant, où le personnage principal était tiraillé entre un amour « raisonnable » et attendu de lui, et, d’autre part, un amour interdit, insensé, avec, qui plus est, une femme plus âgée, qui pourrait être sa mère (la femme de son ancien professeur – lui-même figure paternelle). Notons aussi qu’en 2008, James Gray réalisait Two Lovers, où Joaquin Phoenix était entre deux amours, l’un convenable (et préférable pour lui) et l’autre déraisonnable et destructeur. En cela, Jeanne rejoint ces autres personnages : sa relation basée sur le sexe, passionnelle, fusionnelle, sans aucun attachement « rationnel »  avec Paul, est absolument destructrice, et fondamentalement, étant donné la situation sociale privilégiée de la jeune femme, cette relation ne peut être qu’étonnante. Du côté de Paul, l’histoire entre les amants est vécue comme une demande incessante de renoncement pour lui, Jeanne voulant en faire un bourgeois, ce qu’il n’est pas. Or, dans le troisième acte, Paul fera ce choix, ce sacrifice, et alors, l’image du début du film (la traversée du pont) s’inversera : Jeanne se sera affranchie de sa bourgeoisie, et Paul sera devenu bourgeois, pour enfin vivre pleinement son histoire avec Jeanne ; mais pourront-ils vivre cette passion en-dehors des murs de l’appartement ?

La réflexion métafilmique se fait sur base d’une métaphore : celle du réalisateur. Tom, le petit-ami de Jeanne, joué par Jean-Pierre Léaud, est un réalisateur type « Nouvelle Vague », très allumé, qui tyrannise son actrice principale : Jeanne. En effet, dans la première scène où le cinéaste apparaît, directement après la première rencontre entre Jeanne et Paul, Jeanne arrive chercher Tom à la gare, et sans l’avoir préalablement prévenue, il la filme, à son insu, pour en faire l’héroïne d’un film qu’il tourne. Jeanne réagit très négativement, dans un premier temps, mais ensuite, elle accepte de se prêter au jeu, et en résulte la scène où elle invite Tom dans sa maison de campagne pour la filmer dans son environnement d’enfance. Tom, à l’instar de Paul – du moins pour la plus grande partie du film, est un manipulateur qui obtient ce qu’il veut de Jeanne. Le « viol » qu’il fait de Jeanne en la filmant à son insu, est d’une certaine façon un écho à « la » scène du film où Paul abuse de la jeune femme. Tom n’abuse pas sexuellement de Jeanne, mais c’est dans son intimité qu’il la bouleverse : l’intimité des souvenirs, du domicile familial, etc. En cela, Tom est le réalisateur métaphorique qui donne des ordres à son actrice, l’oblige à faire ce qu’il veut, juste pour le plaisir esthétique et narratif. Cependant, Jeanne n’aura cesse de s’affranchir de cette domination masculine tout au long du film : son image est devenue androgyne, libérée des poids des contraintes.

Pour ce rôle de Tom, Bertolucci s’est inspiré de lui-même: c’est une parodie de sa propre démarche. Mais également de celle de celui qui fut le mentor de l’italien : Jean-Luc Godard, figure de proue de la Nouvelle Vague, à l’instar de Chabrol, Truffaut (réalisateur fétiche de Jean-Pierre Léaud), Rivette, et Rohmer. Bertolucci se donne à cœur joie dans la caricature du réalisateur en faisant de Jean-Pierre Léaud un personnage assez insupportable avec ses « je le vois mon plan », et maniaque du contrôle.

Dans Last Tango in Paris, l’histoire qui relie Jeanne et Paul est à la fois une construction – une reconstruction dans le cas de Paul – et, en même temps, une destruction totale. Paul apparaît brisé, confus, perdu à cause du décès violent de son épouse. Sa rencontre hasardeuse avec Jeanne crée une autre histoire, sorte de reconstruction pour lui, qui lui permet dans une moindre mesure de régler les non-dits avec sa femme – laissés forcément en suspens éternel: en témoignent deux scènes très proches temporellement où il utilise les mêmes mots (« pig-fucker ») pour insulter Jeanne et son épouse. Sa relation avec Jeanne est en même temps une destruction : destruction de lui en tant qu’anti-bourgeois et du côté bourgeois de Jeanne, mais aussi, annihilation d’eux-mêmes en choisissant de devenir des anonymes, de refuser de se confier quoi que ce soit sur leur vies en-dehors de l’appartement. Et même dans cette construction de l’anonymat, il y a destruction à la fin, lorsque Paul décide de briser tous les interdits instaurés par lui-même, afin de devenir bourgeois et de quitter le secret, ciment de la relation.

Le choc à l’époque de la sortie du film fut tel, bien sûr, à cause de la représentation très libre de la sexualité – imaginez : des inconnus font l’amour, quelques minutes après s’être rencontrés. Pourtant, en soi, les images ne sont pas à proprement parler érotiques – encore moins pornographiques, même si Maria Schneider apparaît souvent nue, et Brando jamais (à l’exception d’une scène figée, mais sans que l’on puisse distinguer quoi que ce soit de son anatomie « intime »). De plus, Schneider est filmée « frontalement », offrant au regard du spectateur sa poitrine généreuse – Bertolucci voulait qu’elle aille se la faire diminuer –  et son pubis fleuri. Dans l’appartement, Schneider est souvent nue, exposée dans son intimité aux yeux. L’autre aspect « choquant » pour l’époque est par contre, bien entendu, le fait que Schneider est âgée de dix-neuf ans, et Brando, lui, approche de la cinquantaine, ce qui induit une atmosphère un peu incestueuse – surtout que le personnage de Jeanne est en manque d’un père, ce père pouvant devenir le personnage de Paul (alors que Jeanne est pour Paul une image déformée de sa défunte femme).

S’il y a bien une scène que la plupart des gens retiennent, et qui va dans le sens du choc provoqué par la sexualité du film, c’est lorsque Paul sodomise Jeanne, malgré les protestations de cette dernière. Ce qu’il y a de dérangeant dans cette fameuse scène, c’est l’authenticité qu’elle dégage : Jeanne est plaquée sur le sol et partiellement déshabillée – en pleurs –  par Paul qui tue ainsi tout l’idéal bourgeois de la jeune femme. Maria Schneider ne simule aucunement ce viol : plus tôt dans la journée du tournage, Brando et Bertolucci – en mangeant une baguette et du beurre – ont eu l’idée de la scène de viol, et, n’ont rien dit à Schneider pour pouvoir ainsi capter toute la « vérité » de cet instant. Il en a résulté un traumatisme pour Schneider, qui s’est sentie réellement violée – le viol est psychologique, elle n’a pas été réellement sodomisée, et ses « non, non » dans la scène sont en fait directement adressés à Bertolucci et Brando. Des années plus tard, dans le documentaire sur le film réalisé par Serge July, Schneider confiait que si elle avait su qu’elle pouvait refuser cette scène qui n’était pas originellement présente dans le script, elle l’aurait fait. Enfin, toujours dans ce documentaire, l’incarnation de Jeanne disait aussi, que toujours des années après le film, bon nombre de personnes, comme les serveurs dans les restaurants, rigolaient toujours en lui proposant du beurre. Pour le public français, cette scène choquait bien sûr par sa violence, mais aussi, par cette pratique très « libre » qu’était la sodomie.

Film maudit, film culte, Last Tango in Paris est un incontournable de la filmographie de Bernardo Bertolucci, parfois pour des mauvaises raisons – l’impact de la scène de sodomie, mais aussi pour les meilleures : Marlon Brando vibrant de détresse et d’ironie, Maria Schneider dans une fraîcheur décadante (juste avant The Passenger de Michelangelo Antonioni), la musique ensorcelante de Gato Barbieri, cette vision claustrophobe de Paris, Bir-Hakeim, le désespoir douloureux causé par l’irréparable, l’improbable relation entre deux mondes pas destinés à s’entrecroiser.

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The Hunger de Tony Scott

The Hunger – ou Les Prédateurs, est la première réalisation (en termes de long métrage) de Tony Scott, le frère du célèbre Ridley, en 1983. C’est également l’adaptation du roman éponyme de Whitley Strieber. Tony Scott s’était déjà fait connaître par des réalisations de publicités, tandis que son frère, lui, avait déjà sorti deux films aujourd’hui cultes, Alien, en 1979, et Blade Runner, en 1982. Et cette influence fraternelle se fera notamment ressentir dans The Hunger, à travers une réalisation unique. The Hunger, boudé injustement à sa sortie, constitue un film au genre hybride, entre film d’horreur, film romantique et influence érotique, sur une thématique d’addiction amoureuse teintée d’une phobie du vieillissement. Enfin, le film renouvelle le film de vampires, présentant des créatures différentes de celles présentées dans les adaptations de Bram Stoker et dans les films « habituels » du genre.

Le thème des vampires, créatures de la nuit, forcées de se nourrir de sang humain et de séduire, envers et contre tout, se trouve transposé dans un New-York moderne – enfin, du moins dans les années quatre-vingt. Jeunes et beaux, John Blaylock (David Bowie) et Miriam  (Catherine Deneuve) sont un couple d’immortels, fusionnels et remplis de classe, non-soumis aux lois du vieillissement. Pourtant, sous ces débuts quasi-idylliques – toujours teintés d’un mysticisme envoûtant – les évènements prennent une dimension funeste : John se met à vieillir à une vitesse effrénée, ce qui le pousse à aller voir une scientifique, Sarah Roberts (Susan Surandon),  travaillant sur la question du vieillissement accéléré. Prenant John pour un fou lorsqu’il vient la voir pour lui dire qu’il a pris vingt ans en quelques heures, Sarah refuse de lui parler, jusqu’à ce qu’elle le revoit plus tard dans la même journée, et qu’elle se rende compte qu’il ressemble alors à un vieillard de presque une centaine d’années.

Voici un film d’une extrême sensualité – et pas juste à cause d’une scène sexuelle entre Deneuve et Sarandon – qui renvoie parfaitement l’image de vampires libidineux qui ne laissent personne de marbre ; ils sont de dangereux prédateurs. La réalisation est dès lors représentative de cette volupté, les choix de plans permettent de créer une synesthésie sans limite, l’esthétique générale de l’image promettant une lascivité à fleur de peau. Un corps qui ondule, des lèvres qui remuent pour chanter, une artère qui bat à la chamade, le désir fulgurant, tout se transmet par les images – et le son- avec une facilité déconcertante. Les gros plans – fétichistes notamment – constituent le moyen privilégié d’immiscer le spectateur dans la réalité des créatures surnaturelles plus diurnes que nocturnes, dans ce film du moins. De façon générale, la mise en scène se révèle être un beau tour de force de la part de Tony Scott, bon maître du rythme – tout au long de sa carrière tristement finie en 2012. Dans ce premier film, pourtant, le rythme se veut langoureux, prudent. Après des siècles d’existence, il est délicat d’apprécier l’écoulement du temps de la même façon qu’un mortel. Et en même temps, le titre original, The Hunger, littéralement « la faim » , symbolise cet appétit que les vampires ressentent pour le sang des humains, mais aussi, en seconde interprétation, dans ce sentiment progressivement paroxystique de désir que nous nourrissons pour une personne qui nous attire irrémissiblement.

Mais le thème viscéral du film, c’est la dépendance amoureuse, l’addiction charnelle, la déraison causée par l’attirance physique et émotionnelle, un thème qui épouse parfaitement celui des vampires, perdus dans une époque qu’ils ont appris à connaître, sur laquelle ils ont une totale maîtrise sans être soupçonnés, obtenant toujours ce qu’ils convoitent. D’ailleurs, soulignons la première scène du film, baignée dans une musique moderne, dans des décors nocturnes artificiels, où des personnages secondaires, inconscients, dansent et s’enivrent, sans se rendre compte qu’ils évoluent aux côtés de Miriam et John, assoiffés et qu’ils vont succomber au couple fatal. Dès cette scène le ton est donné : le couple charme avec aisance puis tue, ne nouant aucun lien avec le présent, vivant juste dans leur monde à part, seuls, sans le moindre sentiment pour leurs victimes. Et pourtant, jamais une once d’agressivité ou de bestialité n’apparaît sur les visages des deux personnages : ils sont raffinés, liés par l’amour, par l’immortalité. Ce contraste entre leur civilité et leur nature profonde empreinte de violence est déroutant. Le comble de la grâce revient encore une fois au personnage de Miriam, résolument le plus puissant des deux, enjôleur. Une personne à laquelle il est impossible de résister, ce que Sarah apprend à ses dépens : quand Miriam veut quelque chose, elle l’obtient toujours.

La peur du vieillissement prend toute son ampleur dans le film, surtout à travers le personnage de Miriam, d’une splendeur éternelle, sans le moindre signe de dégradation du temps malgré son (très) grand âge. Ce qui n’est pas le cas de John, voué à se voir pourrir dans un mouvement ascendant fulgurant ; la jeunesse s’effiloche avant qu’il ne puisse avoir le temps de s’en rendre compte, en une poignée d’heures, les années se sont marquées sur la peau autrefois immaculée. Une altération que Miriam ne peut supporter, elle-même étant le symbole de jeunesse infinie, de la beauté impérissable. Pour subsister – et donc rester infiniment jeune –  il faut se nourrir de sang, en ôtant des vies pour conserver son éclat: cette logique cruelle permet de continuer à exister, tels des parasites usant les humains jusqu’à plus soif. Ce qui n’est pas sans rappeler la légende entourant la comtesse Báthory. Parce que si Miriam clame à John qu’entre eux c’est « forever », c’est seulement jusqu’à ce qu’elle s’éprenne de quelqu’un d’autre, et forcément, tant que John n’est pas atteint par le poids de ses années terrestres.

Enfin, The Hunger présente une vision novatrice du vampire : déjà, rien que par le fait que jamais le mot « vampire » n’est évoqué, qu’on ne parle pas de chasseurs de vampires et qu’il n’y a pas une multitude de croix et d’ail. Aussi, John et Miriam ne sont pas exclusivement nocturnes, ils peuvent sortir le jour sans se transformer en tas de poussière. Notons aussi qu’ils se fondent parfaitement dans la société, ne sont pas figés dans leur époque d’origine, s’habillent assez classiquement, paraissent définitivement « normaux », donnent même une leçon de musique à une jeune voisine une fois par semaine. Ainsi, enfouis dans cette normalité, au lieu de dormir dans des cercueils, ils dorment dans un lit et n’ont pas d’énormes canines proéminentes – rétractables ou non. Personnages en marge de la société parce qu’ils vivent enfermés dans leur solitude immortelle, et, en en parfaite adéquation avec la communauté parce qu’ils passent inaperçus, les Blaylock sont des vampires d’un genre tout à fait différent que celui auquel le public a été habitué, ce qui n’est sûrement pas pour déplaire. Ils rejoignent cependant l’image traditionnelle des vampires parce qu’ils fonctionnent sur la logique d’Eros et Thanatos, fondant leur existence sur le désir, le sexe et la mort .

Dans une atmosphère sensuelle et décadente, Tony Scott filme avec volupté les magnétiques Deneuve et Bowie, deux créatures surnaturelles et désirables, pour le pire des mortels qui les entourent, sur une toile de fond d’amour obsessionnel et de peur maladive du vieillissement.

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A Single Man de Tom Ford

For the first time in my life I can’t see my future. Everyday goes by in a haze, but today I have decided will be different

A Single Man s’ouvre avec un générique sombre qui met en scène le corps d’un homme nu, en train de se noyer, au plus profond des abysses. La fin de ce générique est entrecoupée par des plans fixes d’une voiture – victime d’un accident, dans une étendue quasiment infinie de neige.  Ensuite, changement définitif de plan maintenant centré sur l’homme du générique, habillé, se dirigeant vers le corps sans vie de l’homme victime de l’accident de la route, ensanglanté,  étendu dans la neige avec son chien. Le sang de l’homme accidenté souille la neige immaculée, et dans une vision entre l’onirisme et le fétichisme – par le biais de gros plans, l’homme du générique embrasse le mort. George s’éveille de son rêve, ému, choqué, déboussolé.

Just get through the goddamn day

A Single Man est un film sur le deuil, comment celui-ci affecte la vie, et surtout, comment nous décidons de nous en acquitter et de recommencer à vivre: George, professeur d’université d’une cinquantaine d’années, ne peut plus vivre depuis le décès accidentel de son compagnon, Jim, il y a un an, début des années soixante. Fatigué de vivre, emprisonné dans la répétition journalière d’actes devenant absurdes et insupportables, George décide un beau jour de se redonner une chance, un futur.  L’action du film se déroule dès lors sur une journée, cette journée de changement dans la vie de George, tout en étant entrecoupée de flashbacks relatifs à la vie commune avec Jim et à  l’annonce de son décès accidentel.

Charley (Julianne Moore) et George (Colin Firth)

Outre son message universel sur le deuil, A Single Man délivre un message sur les valeurs intrinsèques de l’existence : l’amitié, l’amour, les êtres, la beauté. La plupart du temps, et particulièrement lorsqu’il est dans sa maison hantée par le souvenir lointain de Jim, George voit la vie de façon très sombre : tout a perdu son importance, plus rien n’a d’éclat, d’intérêt, tout n’est qu’une manifestation floue et absurde. Or, Tom Ford, le réalisateur du film, fait des choix très intéressants de mise en scène qui permettent à George de revoir de l’intérêt dans sa vie, par des jeux de saturation de couleurs : en effet, la plupart du temps, les couleurs sont désaturées, mais lorsque quelque chose d’inhabituel sort George de son gouffre – parfois une simple manifestation de beauté comme des belles personnes –  les couleurs se saturent, la lumière revient, le monde se fait alors éclatant, beau, solaire, chaleureux. Un monde dans lequel nous pouvons vivre, respirer, effleurer le bonheur. Mais ces passages de clarté et d’éclat sont minimes face à la morosité et à la tristesse. Comment retrouver le goût de vivre ? Comment  redonner une chance à la vie ?

Malgré ce sujet très noir, jamais nous ne tombons dans le pathos pur, dans la surdramatisation. Tom Ford crée des séquences certes remplies d’émotions, mais toujours avec une grande élégance  et un certain flegme britannique – George est anglais. Là où certains rajouteraient une couche, Tom Ford embellit, fabrique une narration poétique, et évite les effusions. L’émotion pure est retrouvée, au lieu d’une émotion façonnée par des mécanismes cinématographiques trop apparents. Même la musique composée par Abel Korzeniowski et Shigeru Umebayashi ne pousse jamais dans les retranchements affectifs : l’utilisation du violon représente la solitude, la perte de l’élan vital, mais en même temps, ce même violon symbolise la détermination, la volonté, l’instant présent si dur à vivre pour George qui ne conçoit qu’au passé le monde. Même une scène qui aurait pu être vecteur de larmes faciles se passe avec une délicatesse des plus flagrantes : ayant appris le décès de Jim par téléphone, George se précipite chez son amie Charley, en quête de réconfort. Il arrive chez elle, son visage noyé sous les larmes, et dans des mouvements de désespoir, il finit par étreindre Charley. Toute cette scène est muette en termes de dialogues : pas un son n’émane de la bouche hurlante de George, les voix sont occultées, le seul son audible est celui de la pluie, exaltée, assourdissante pour l’occasion : il pleure dans son cœur comme il pleut sur la ville.

Jim (Matthew Goode) et George

La mise en scène de Tom Ford est très bien pensée : George est souvent seul dans des plans désaturés qui témoignent parfaitement de sa lassitude et de son incapacité à revoir la vie avec ses bons côtés ; lorsqu’il partage un plan avec un autre personnage, c’est souvent lorsque les couleurs sont saturées, lorsqu’il reprend goût à la vie, que les choses ne sont plus moroses – à l’exception d’un plan dans la salle des coffres de la banque où l’employée ferme la porte – avec des barreaux, sur George. Plan qui symbolise parfaitement l’enfermement psychique de George dans sa solitude et dans des souvenirs qui n’appartiennent plus qu’au passé. Pour les plans solitaires, le meilleur exemple est celui de George face à son auditoire lors de son cours : seul un plan général le présente avec les étudiants, ce même plan étant symbolique : George est dans le fond de l’image, loin, et seul, en bas des marches. Seul dans son malheur, au plus profond de la douleur. Le reste des plans de cette scène le présente seul, à son bureau, écoutant à peine les remarques de ses étudiants, prisonnier de sa lassitude. Et puis, lorsqu’il parle, il reste seul dans le cadre, en gros plan ou en plan rapproché taille, toujours isolé par rapport au groupe. Cette scène va dans le sens du titre du film : a single man, un homme célibataire, un homme seul. Définitivement seul malgré tout ce qui l’entoure.

Cette mise en scène oscille donc entre la solitude –grisâtre, morose, et le partage avec autrui dans un monde chaleureux. La seule chose qui peut encore sauver George, c’est justement ses liens avec les autres, le fait d’aller de l’avant, dans le partage.  Ce monde chaleureux est souvent représenté aussi par des gros plans – fétichistes : la fumée qu’exhale la bouche d’un beau garçon après la première bouffée d’une cigarette, les yeux verts, des corps musclés en sueur d’étudiants jouant au tennis, la bouche sensuelle d’une étudiante, les yeux vifs d’un autre étudiant. Le caractère fixe de certains plans d’objets ou d’espaces participe aussi à la création du monde résolument solitaire : le plan sur le bureau parfaitement rangé, organisé, le plan sur le tiroir de l’armoire avec les chemises parfaitement pliées, George toujours habillé dans le raffinement le plus complet et avec un sens du détail certain, ces éléments sont tous les apparences d’une vie à la dérive ; dans l’ordre physique le plus complet règne le plus grand chaos psychique.

A Single Man est porté par l’interprétation époustouflante de Colin Firth dans le rôle principal : avec simplicité, élégance, le britannique fait passer énormément d’émotions, et il est impossible de ne pas ressentir une once de sympathie pour ce personnage esseulé, privé de son grand amour. Julianne Moore est Charley, l’amie de longue date de George, une femme en proie à ses névroses qui vit dans des chimères passées. Dans le rôle du grand absent éternellement dans les pensées, Matthew Goode excelle : rieur, charmeur, au sourire dévastateur. Une bouffée d’air frais dans les souvenirs de George. Enfin, dans un rôle important, Nicholas Hoult, en toute sensibilité, en sauveur d’âmes.

Un des meilleurs films de 2009, au casting impeccablement emmené par Colin Firth au sommet de la transcendance, A Single Man est entré dans le cercle très fermé des films indispensables. Avec distinction,  les émotions et humeurs de George se confondent, formant une ode poétique à la vie, à l’important, cet ensemble de petites choses qui redonnent du goût au morose, qui nous font avancer, jour après jour, dans la beauté du monde, cette beauté si difficile à capter pour ceux qui se noient dans leur mélancolie.

I’m just trying to get over an old love I guess

Publié dans 2009, 2010, adapté, américain, colin firth, culte, dvd, gay, indépendant, livre, Non classé, oscars, psychologique, tom ford | Tagué , , , , , | Commentaires fermés sur A Single Man de Tom Ford

Gattaca de Andrew Niccol

We want to give your child the best possible start. Believe me, we have enough imperfection built in already. Your child doesn’t need any more additional burdens. Keep in mind, this child is still you. Simply, the best, of you. You could conceive naturally a thousand times and never get such a result

En 1997, un jeune réalisateur alors inconnu – si l’on omet qu’il vient de vendre son scénario « The Truman Show », se fait connaître avec un film de science-fiction déroutant, Gattaca. Si le film ne rapporte aucun bénéfice – au contraire, il constitue un véritable gouffre financier, il reste culte et incontournable dans le monde de la science-fiction – et du cinéma en général, et ce pour plusieurs raisons intéressantes : son univers dystopique obsédé par les manipulations génétiques, son aspect esthétique lisse et onirique de par l’utilisation de certaines couleurs, sa thématique profonde d’opposition entre individus, et enfin son subtexte relatif à la fatalité. A travers ces caractéristiques – non-exhaustives mais particulièrement représentatives, Gattaca d’Andrew Niccol constitue un film de science-fiction définitivement philosophique,  soulevant de nombreuses questions fondamentales et inéluctablement d’actualité.

Vincent/Jérôme (Ethan Hawke) et le Directeur Josef (Gore Vidal)

L’univers dystopique rime souvent avec science-fiction : les films du genre sont immanquablement – et surtout depuis les années septante – ancrés dans une perspective d’oppression, de paranoïa, de société humaine aliénée et/ou dirigée par des personnes mal intentionnées qui créent des discriminations et de la répression. Au sein de cette société (chaotique), l’individu est privé de son individualité propre,  destiné à être juste une pièce du puzzle parmi les autres, un numéro dans la multitude de chiffres. Dans Gattaca, cet univers dystopique est caractérisé par le triomphe de l’eugénisme : les naissances ne passent plus par les aléas des actes sexuels, mais par une rigoureuse sélection génétique – ce qui rappelle Brave New World de Huxley. Il n’est donc pas étonnant que le principal adjuvant au personnage principal ait comme second prénom Eugene, lui-même produit des nouvelles techniques de procréation et de sélection, au contraire du personnage principal, Vincent – devenu Jérôme, enfant né d’un rapport sexuel sans la moindre intervention visant à sélectionner des gènes. Dans ce monde, les enfants sont « créés » selon les critères de perfection : la sélection génétique a pour but d’enlever tous les travers du génome pour obtenir un individu parfait, un individu « valide » : après la naissance de Vincent – et la découverte de ses nombreuses failles héréditaires, ce dernier étant considéré comme «invalide », ses parents décident de ne plus laisser le hasard décider pour la naissance de leur second enfant, Anton. Anton est dès lors considéré comme « valide » par la société et ses nombreuses bornes de contrôles sanguins et urinaires. Et dans le monde où les protagonistes évoluent, être « valide » donne le droit à tout : les « invalides » sont vus comme des aberrations, des erreurs génétiques, et ne peuvent avoir accès aux facilités qu’on donne allègrement aux « valides ». Vincent est donc un paria de la société, sans cesse comparé – et se comparant- aux « valides » dont son frère est un des meilleurs représentants: les castes ne sont plus déterminées par le statut social, le niveau d’étude, mais par la nature profonde de l’être, d’une certaine façon. Nature contre laquelle on ne peut rien faire.

Entre le cauchemar et le rêve se situe Gattaca. Cauchemar d’une société où vous aurez beau être intelligent, plein de volonté, votre génome sera un obstacle à votre réussite, comme pour Vincent. Rêve dans des décors épurés, totalement dénués d’artifices excentriques, à l’image de la perfection si pure du monde fait pour et par les gens reconnus comme « valides ».  C’est dès lors pour cette raison que tout est si lisse dans cet univers – en termes d’accessoires, d’habillage et de décoration : tout est parfait, sans digressions, comme le génome des humains : aseptisé, purgé de défauts. Gattaca étant elle-même le summum de la perfection, comme les individus qui la peuplent – tous valides, à l’exception de Vincent.

Un certain onirisme se détache de l’usage de la couleur dans Gattaca : des tons sombres sublimés par les lumières artificielles car les sources d’éclairage sont surtout intérieures aux lieux – Gattaca, la maison de Vincent et d’Eugene, mais aussi, dans de nombreuses scènes, une prépondérance de tons jaunes et oranges, eux-mêmes associés dans notre mémoire collective aux films de Jean-Pierre Jeunet de Marc Caro, les bastions des films oniriques. Ce côté onirique du film se retrouve aussi dans des scènes qui nous rappellent ce caractère « construit » du film,  cette divagation sur l’avenir de notre société, son rapport au progrès, mais aussi dans les seuls émanations « naturelles » de cet univers comme la lumière naturelle du jour, devenue elle aussi un rêve dans la construction du futur. Les tons les plus sombres – et les plus froids-  du film se retrouvent au sein même de Gattaca, dans les bureaux, la salle d’exercice, dans ces lieux dépourvus d’humanité, uniquement basés sur la performance et la perfection à tout prix. Vincent est lui-même tiraillé entre le cauchemar et le rêve : le cauchemar que sa supercherie soit découverte – il use le sang, l’urine et divers traces corporelles de Jérôme, pour qu’on le prenne pour ce « valide », et le rêve, dans le sens où Gattaca permet à Vincent d’obtenir son plus grand rêve : aller dans l’espace. Onirisme – d’un point de vue des couleurs, et réalité abrupte se succèdent dans le film, rendant compte de l’état de Vincent pour qui son rêve a un prix d’or, entre l’ombre et la lumière, le sacrifice et la récompense.

Vincent/Jérôme (Ethan Hawke) et Irene (Uma Thurman)

Gattaca joue en permanence sur des jeux d’opposition entre Vincent et les valides, d’une façon narrative et visuelle : d’un point de vue narratif, deux personnages en particulier lui sont opposés : d’abord son propre frère, Anton, et puis Jérôme – Eugene, ancien nageur de haut niveau maintenant paralysé qui lui prête son identité afin de lui permettre un accès à son rêve : Gattaca.  Avec Jérôme, l’opposition valide-invalide prend encore plus d’importance étant donné le fait qu’en apparence, Jérôme est l’invalide et Vincent le valide : les deux hommes s’échangent leurs vies « prédestinées » : l’un incapable de mener sa vie comme bon lui semble parce qu’il n’est plus valide, et l’autre vivant l’avenir prometteur d’un valide. L’opposition narrative devient également visuelle lorsque les scènes les montrent chacun à leur besogne quotidienne : l’un dans la prétention d’être un autre et ce qu’elle implique (implants sous-cutanés, etc), et l’autre dans la création de son autre, de sa copie presque parfaite lorsqu’il prépare ses échantillons de sang ou d’urine.  L’antinomie atteint son paroxysme dans la scène finale où les deux personnages sont présentés parallèlement : leur identité commune aura permis de les rapprocher sans pouvoir les définir véritablement.

La fatalité occupe une grande place dans la vie des personnages : en faisant confiance aux manipulations génétiques, des individus « parfaits » sont créés, ces mêmes individus destinés à un avenir où tout est possible et surtout le grandiose. Mais il y a comme un bémol dans l’histoire : ces individus si « parfaits », peuvent-il être heureux ? Quelle est la place de la perfection dans le bonheur ? Au contraire de Vincent, animé par une volonté farouche – celle d’intégrer Gattaca et de partir dans l’espace, qui, lui, semble heureux d’être là où il est, et ce, malgré les sacrifices. La société élitiste dans laquelle Vincent évolue ne lui a jamais fait aucun cadeau, et c’est avec l’usurpation d’identité de Jérôme qu’il a réussi à rentrer là où personne n’aurait voulu de lui, contre toute attente. Dans Gattaca, le fatalisme n’a absolument aucun sens, il révèle que l’homme fait ce qu’il veut de son existence, qu’il est capable d’aller où il veut, même si ce n’était pas son « destin ».

Jérôme/Eugene (Jude Law) et Vincent/Jérôme (Ethan Hawke)

Comme nous l’avons évoqué, Gattaca est peut-être plus une fable philosophique sur la liberté de l’individu quant à sa destinée, liberté à concevoir en termes de choix et de volonté – et cela envers et contre toute attente, qu’un banal film de science-fiction. Tout le film est construit sur le principe d’opposition entre celui qui ne peut pas (Vincent) et ceux qui peuvent (les individus de Gattaca, Jérôme, Anton), et comment tous ces personnages modulent leurs destinées, non pas avec leurs prédispositions génétiques, mais avec leur volonté propre. Une véritable critique de cette tendance – pas si moderne – à toujours voir l’avenir d’une personne en termes de dispositions, de probabilités, d’un point de vue purement théorique et en pratiquant des amalgames. Il s’agit de concevoir que l’individu peut s’affranchir de ces prédestinations pour atteindre un but qu’on pensait hors d’atteinte, comme Vincent.

There’s no gene for fate

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Skyfall de Sam Mendes

Ce sacré James Bond. Il a à peine le temps de nous surprendre dans une démonstration de poker qu’il disparaît dans une fumée de vengeance. Certains diront qu’en 2006, avec Casino Royale, le plus célèbre espion au service de sa Majesté avait redoré son blason, avec brio, l’épisode surpassant de loin ce que nous avions l’habitude de voir avec Mister Bond. En revanche, en 2008, la réaction critique était plus froide quant à Quantum of Solace, pas pour un sou dans la veine des films noirs, et moins envoûtant, tout simplement. Et pourtant, tout ce que Bond voulait, c’ était un peu de réconfort. Il fallait donc mettre les bouchées doubles pour Skyfall, le film qui sortirait pour le cinquantième anniversaire des aventures cinématographiques  de cette franchise. C’est pourquoi les studios nous ont sorti de leur chapeau magique l’excellentissime Sam Mendes, un réalisateur chevronné, récompensé, un « vrai » réalisateur comme certains (mesquins) ont dit. En plus de Sam Mendes, une belle révision du scénario, et pour la chanson du film, la voix grandiose d’Adele, pour un morceau aussi emblématique que The World is not Enough, License to Kill ou GoldenEye. Skyfall, un gigantesque coup de maître, pour redonner envie au public d’aller voir l’espion anglais (qui m’aimait).

Parce que si c’était un peu le coup de la dernière chance sur certains aspects du film, c’était également la dernière chance – tout court – pour James Bond : la dernière chance de se prouver véritable espion, véritable champion. Affublé d’un visage fermé, imbibé d’alcool comme un polonais, ce bon vieux Bond n’est que l’ombre de lui-même : son heure de gloire passée, sa jeunesse définitivement oubliée, et ses capacités diminuées, il est victime du temps qui passe, des machiavéliques qui deviennent franchement trop rusés . C’est donc dans une position de faiblesse qu’il occupe l’écran, coupé de tous ses privilèges passés, et, l’espion, alors,  nous apparaît alors dans toute sa fragilité, dans toute sa complexité. Jamais le personnage de James Bond n’aura autant regorgé de conflits internes, de nuances, d’intérêt. Au pied du mur, Bond devra se surpasser, traverser les souterrains londoniens pour aller au plus loin, au plus loin de lui-même, ou peut-être finalement, au plus proche.

Bond, le stylé. Même avec la tronche cabossée, les côtes cassées, la volonté est toujours plus présente et forte. Et il se veut stylé, jusqu’au bout de la pellicule, de gros plan en plan rapproché, de cascade en revolver, de voiture en scène de drague. Le style James Bond ne mourra jamais, même si l’annonce la chanson d’Adele avec son entêtant« this is the end». Et ce style irrévérencieux de l’agent secret est tellement bien mis en valeur par la photographie classieuse de Roger Deakins, un habitué des frères Coen qui s’est particulièrement illustré sur le chef d’œuvre qu’était The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford. La réalisation est également épique : les plans sont soignés, en parfaite adéquation avec la photographie du film qui sublime le tout. Si tout transpire la recherche styllistique, que dire de Javier Bardem ? Un vieux de la vieille, qui connaît les rouages, en abuse, mais surtout, un obsessionnel quelque peu sadique et dépourvu de tout sentiment. Une sorte d’alter égo de Bond, une autre version du héros lui-même, ce que le protagoniste pourrait être, s’il le voulait, s’il se laissait aller.

Skyfall, la rencontre entre le passé et le présent, le lieu du doute désorganisé, des choix cruciaux et funestes à faire. Une réussite scénaristique, visuelle, musicale. Mais aussi, une belle occasion pour Daniel Craig de prouver qu’il est définitivement le meilleur James Bond.

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